SOS en Méditerranée : le grand silence de l’Europe

L’« Ocean Viking », navire de l’organisation humanitaire SOS Méditerranée a recueilli ces dernières semaines, un peu plus d’un millier de migrants entre les côtes de Libye et les côtes italiennes. 672 d’entre eux ont été, dans un premier temps, accueillis dans le port de Palerme, sans que beaucoup d’informations filtrent sur les conditions dans lesquelles ils ont été, ou non, répartis entre différents Etats européens.

Les secours sont dans l’impasse

La Méditerranée centrale n’est certes pas le seul axe de pénétration des migrants en Europe, mais il est sans nul doute le plus dangereux, puisque l’on estime à plus de 1100 le nombre de migrants qui ont péri en mer au premier semestre de cette année. L’Union européenne a conclu des accords avec la Libye pour financer des centres de rétention et des garde-côtes, mais de multiples rapports et témoignages dénoncent à la fois les mauvais traitements que font subir les Libyens aux personnes qu’ils retiennent et les graves dangers que leurs garde-côtes font subir à ceux qui prennent la mer. Le flux n’a pas été ralenti, et nombre de migrants préfèrent aujourd’hui prendre tous les risques pour fuir la Libye.

Malgré les appels répétés de l’« Ocean Viking » et de SOS Méditerranée, aucun port n’a été jusqu’à présent ouvert pour accueillir les 555 nouveaux migrants qui ont été recueillis en mer et qui restent à bord dans des conditions de plus en plus précaires. Tout se passe comme si l’Europe et les différents Etats, qui bloquent régulièrement les navires des associations humanitaires, cherchaient à gagner du temps, paralysant de nouveaux sauvetages dans la période d’été où les flux de migrants sont plus importants.

Les profondes divisions des Européens

De fait, face aux migrations venues par la Méditerranée, les pays Européens sont divisés en trois groupes :

  • Les pays d’arrivée des migrants –la Grèce, l’Italie, et l’Espagne (qui fait face, en outre, à de nouveaux flux de migrants dans les Canaries et dans les enclaves de Ceuta et Melilla). Ces pays dénoncent les accords de Dublin et leurs dérivés qui attribuent la responsabilité des demandeurs d’asile aux pays qui ont procédé à leur premier enregistrement. Ils demandent un partage équitable de leur accueil entre les différents pays européens.
  • Les pays de l’Est de l’Europe qui sont très généralement opposés à l’accueil des migrants. Leur propre histoire a été souvent marquée par des transferts de population ou, dans le cas de la Hongrie, par la séparation d’une partie de leur peuple. Ces pays n’ont pas de possessions coloniales, ne sont pour la plupart jamais intervenus dans les conflits du Proche ou du Moyen-Orient et n’ont donc aucune histoire partagée avec les pays de départ des migrants.
  • Les pays d’Europe occidentale qui ont, pour la plupart, une histoire coloniale qui, par-delà ses drames, a tissé des liens particulièrement forts avec l’Afrique. Ils connaissent d’autre part, des problèmes démographiques qui les ont conduits, dans le passé, à développer des politiques tout-à-fait volontaristes d’accueil des populations immigrées. Malgré le geste de générosité d’Angela Merkel en 2015, la montée des populismes les rend aujourd’hui de plus en plus frileux et les conduit à s’aligner, dans la pratique, sur les thèses de l’ancien ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini, qu’ils dénonçaient pourtant, il y a peu, avec la plus extrême vigueur.

L’Union européenne a, dans le principe, la responsabilité de définir une politique migratoire commune. Le projet de pacte sur l’asile et les migrations, présenté en septembre 2020 par Mme Von der Leyen s’inscrit, a priori, dans une démarche pragmatique puisqu’il prévoit une répartition plus équitable des migrants entre les Etats, ou, à défaut, des « contributions flexibles » qui placeraient sous la responsabilité des Etats les plus réticents le retour de migrants n’ayant pas obtenu de titre de séjour.

L’urgence d’un sursaut humanitaire

Ce projet n’aboutira pas, en tout état de cause, avant de longs mois. Il est donc indispensable que les pays qui mettent constamment en avant leur attachement aux droits de l’Homme -la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Bénélux, les pays scandinaves-, cessent de se dérober, en invoquant des « solutions européennes », qui ne sont pas opérationnelles dans l’immédiat, pour partager dès maintenant et pour les prochains mois des solutions d’accueil qui sont humainement indispensables.

S’il n’en était pas ainsi, les discours de repentance que leurs dirigeants prononcent au Rwanda, en Namibie ou dans d’autres pays du Sud, prendraient l’allure de sombres comédies.