Le Mal-être de l’Europe

Siège du parlement européen

Les dirigeants européens viennent d’afficher leur incapacité à proposer une rencontre commune au président russe Vladimir Poutine, quelques jours après que le nouveau président américain Joe Biden ait rencontré ce dernier à Genève. Bien que Paris et Berlin se soient associés pour cette rencontre, le moteur franco-allemand a fait la démonstration de son impuissance dans une Europe de plus en plus gagnée par le mal-être.

Comment expliquer une telle apathie ?

Au sortir de la crise du COVID, l’Europe souffre d’une profonde absence de leadership. Imposée par Emmanuel Macron et Angela Merkel –sans tenir compte du résultat des élections européennes, les dirigeants de la Commission et du Conseil manquent cruellement de crédibilité. Ursula von der Leyen n’a guère brillé par sa gestion des commandes de vaccin anti-Covid. Charles Michel a étalé sa muflerie lors du regrettable incident du sofa d’Ankara. Tous deux se haïssent cordialement. Malgré de nombreuses tentatives, M. Macron n’a pas réussi à s’imposer tandis que Mme Merkel est désormais sur le départ.

Dirigeants et institutions de l’Union –notamment, le Parlement européen- se sont plu ces dernières années à exacerber, au nom de l’ « état de droit », les positions clivantes au sein même de l’Union. Or, il est difficile de jouer les moralisateurs un jour et de prétendre jouer les rassembleurs le lendemain –d’autant que les dirigeants européens, dans leur ensemble, ne sont guère des modèles sur la question dramatique de l’accueil des migrants et que l’ « état de droit » est à géométrie variable : le Danemark, qui chasse ses demandeurs d’asile, n’a toujours pas été rappelé à l’ordre.

L’arrivée de Joe Biden n’arrange rien à cette situation. Aussi odieux fût-il, Donald Trump avait l’immense mérite de rassembler la plupart des Européens contre lui. Salué comme un nouveau messie, Biden encourage le penchant ancien de nombreux dirigeants à s’abriter derrière le parapluie américain. Politique averti, il sert d’abord les intérêts des Etats-Unis. Laissant de côté le faux couple von der Leyen–Michel et Emmanuel Macron, il rencontre en priorité Mme Merkel avec laquelle il cherche des accommodements dans sa stratégie à l’égard de la Russie –Nordstream 2 [1] – et à l’égard de la Chine –l’accord sur les investissements chinois [2].

Si l’Europe veut peser demain sur la scène internationale, il faut qu’elle travaille à se rassembler plutôt qu’à se diviser. M. Orban et M. Kaczynski ne suscitent guère la sympathie, mais leurs agissements ne relèvent pas de sanctions prises par des organes politiques. Il y a la Cour de Justice européenne mais il y a aussi la Cour européenne des droits de l’homme qui ne condamne d’ailleurs pas seulement d’anciens pays de l’Est, mais aussi d’anciens Etats de l’Europe de 6, dont la France.

Et il faut aussi que l’Europe se donne des ambitions. C’est sur les terrains du changement climatique –où elle commence à s’affirmer-, de la technologie et des politiques commerciales –où elle est trop faible-, voire de la culture –face à l’omnipotence des GAFAM- qu’elle peut entreprendre de construire une démarche de souveraineté. Dans l’immédiat, politique étrangère et politique de défense –sur lesquelles l’Europe devra à terme s’affirmer-, ne peuvent dépendre de décisions prises à l’unanimité des Etats. Dans ces domaines, jouons les coopérations renforcées, formelles ou informelles, avec les plus décidés de nos partenaires.

  1. Après d’être opposé au projet, M. Biden l’a désormais accepté.
  2. Cet accord, imposé par Mme Merkel à ses partenaires européens, était à l’origine fortement critiqué par les Américains.