Même si elle sort de l’OTAN, la France ne sera pas seule

L’annonce inattendue d’une nouvelle alliance sécuritaire entre Anglo-saxons -Etats-Unis, Australie, Royaume-Uni- dans la zone pacifique et la rupture soudaine par l’Australie de la commande de douze sous-marins à l’industriel français Naval Group sont légitimement ressentis par notre pays comme une trahison et comme une humiliation : les engagements pris il y a déjà six ans ne sont pas tenus, la brutalité des décisions et le secret qui a entouré leur préparation sont indignes de relations entre alliés, la compétence technologique de la France et la stratégie qu’elle déploie dans la zone indopacifique sont ouvertement bafouées.

Plus que jamais, le moment est venu de nous interroger sur nos relations avec les Etats-Unis, et particulièrement sur l’intérêt de notre appartenance à l’OTAN, et de faire un bilan de l’ensemble de nos relations extérieures, européennes et extra-européennes.

Les profondes illusions du retour dans l’OTAN

Voulu par Nicolas Sarkozy, le retour de la France dans l’OTAN, en 2009, répondait en théorie à une double préoccupation : formaliser et simplifier notre participation aux opérations décidées en accord avec nos alliés, montrer notre bonne volonté à nos partenaires européens afin de faciliter la constitution d’une défense européenne autonome.

La première manifestation de cette réintégration aura été l’intervention en Libye de 2011 dont les conséquences sont aujourd’hui profondément controversées -en raison de l’interminable guerre civile libyenne et des effets déstabilisateurs subis par le Sahel.

Sur la durée, nous avons peu à peu aligné notre politique étrangère sur celle des Etats-Unis, perdant ainsi, dans de nombreuses régions du monde, le capital de sympathie et de crédibilité que nous avions acquis depuis le général de Gaulle. Nous nous sommes inspirés des méthodes d’intervention américaines -vastes camps retranchés et opérations d’élimination à distance des chefs terroristes- renonçant ainsi à l’immersion de nos forces parmi les populations et à la pluralité des modes d’action -militaires mais aussi diplomatiques et humanitaires, qui nous caractérisaient jusqu’alors. Notre image s’est ainsi fortement dégradée sur le continent africain.

Nous nous sommes sans doute trop largement appuyés sur le renseignement fourni par les Etats-Unis et par l’OTAN, au point de subir les cyber-intrusions contre lesquelles nos « alliés » s’étaient protégés -Pegasus- et de ne pas voir venir les coups qui viennent de nous être portés dans le Pacifique.

Quant à la défense européenne, ni l’abandon du pilier européen de l’Alliance atlantique que constituait l’UEO (Union de l’Europe occidentale), au profit de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), ni les appels à l’autonomie stratégique de l’Europe depuis notre retour dans l’OTAN, n’ont abouti à des avancées significatives. Dans les instances comme dans les assemblées de l’OTAN, les Américains se sont toujours ingéniés à discréditer et à affaiblir cette démarche.

En présence d’un tel bilan, on peut demander un sommet extraordinaire de l’OTAN, mais pour y obtenir quoi ? Nous sommes certes soucieux de ne pas froisser nos partenaires européens -qui peut-être n’en demandent pas tant-, mais sommes-nous en mesure de formuler et de faire partager rapidement par ces derniers un concept d’autonomie qui marquerait significativement notre émancipation de la tutelle américaine et permettrait la constitution du pilier européen auquel nous aspirons ? Si cela se révélait une fois encore impossible, la sortie de l’OTAN -que nous avons parfaitement vécue de 1967 à 2009- serait seule à la mesure de l’affront qui nous a été infligé. Elle nous rendrait la liberté indispensable pour bâtir une politique infiniment plus ouverte et ambitieuse.

La France n’est pas seule.

Dans le discours du 18 juin 1940, alors même que pour notre pays, toutes les perspectives paraissaient anéanties par la défaite, le général de Gaulle martelait : « La France n’est pas seule ».

Contrairement à ce que nous serinent les esprits défaitistes ou soumis, la France d’aujourd’hui, elle non plus, n’est pas seule.

D’abord, parce qu’à la différence de 1940, elle dispose d’une armée complète, comprenant à la fois la force nucléaire stratégique et des forces classiques, capable d’intervenir sur terre, sur mer et dans les airs. Elle est, en Europe continentale, la seule à être dans cette situation et elle garde, par-delà la rupture du contrat avec l’Australie, la capacité d’alimenter d’importants contrats d’armement.

Mais aussi parce que la France a la capacité de renouveler sa politique étrangère et de reconquérir les sympathies qu’elle pouvait avoir perdues -à la mesure des antipathies suscitées partout dans le monde par M. Trump et par M. Biden, et bien au-delà encore.

Relancer une politique ouverte de dialogue et de reconstruction dans l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient -Liban, Syrie, Jordanie, Iraq, Iran-, donner un peu plus de chaleur à nos relations avec les pays de la Méditerranée -Turquie, Egypte, Tunisie,         Algérie, Maroc-, reconstruire une politique africaine moins arrogante et plus attentive aux difficultés croissantes des populations, offrir une alternative indopacifique à l’Inde, au Japon, et aux pays du Sud-Est asiatique -au premier rang, l’Indonésie-, et être davantage à l’écoute des pays d’Amérique latine qui, à l’image du président mexicain Lopez Obrador, souhaitent se soustraire à l’emprise des Etats-Unis, voilà les axes innombrables et profondément fructueux qui  peuvent s’ouvrir à nous.

La prise de conscience des Européens.

Nos partenaires européens sont de plus en plus conscients du découplage qui s’affirme entre intérêts américains et intérêts européens. Ils ont clairement montré leurs réticences lorsque les Américains ont essayé de les entraîner vers un nouveau concept, presque exclusivement dirigé contre la Chine. Ils viennent de manifester, dans l’affaire du Pacifique, une réelle solidarité avec la France. Ils commencent à comprendre qu’ils devront, de plus en plus, à l’avenir, compter sur eux-mêmes et que la nature des relations qu’ils devront bâtir avec la Russie et avec la Chine ne sera plus dictée par Washington.

Sans doute, devons-nous faire preuve d’un peu plus de patience et de modestie, mais le réalisme conduira, plus rapidement que nous l’espérions jusqu’ici, à la prise de conscience collective que nous attendons. A nous de savoir en ouvrir les voies.