Cessons de négliger l’Amérique latine

Le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Josep Borell, a exprimé à plusieurs reprises ses regrets devant le désintérêt des Etats européens pour l’Amérique latine.

On ne peut pas lui donner tort. Si l‘Espagne et le Portugal manifestent une    attention forte et entretiennent des liens étroits, notamment culturels, avec leurs désormais très anciennes colonies, les autres nations européennes ont fâcheusement tendance à ignorer cette partie du monde. Les agissements choquants du président brésilien Jair Bolsonaro –face au Covid ou aux problèmes d’environnement-, la situation politique confuse du Venezuela, la fragilité de nombreux dirigeants, le poids redoutable des narcotrafiquants –en Colombie et au Mexique- contribuent à donner de cette région une image trop facilement négative.

Beaucoup de ces pays mériteraient pourtant une approche sensiblement plus positive. D’abord, parce qu’un grand nombre d’entre eux restent, malgré les difficultés économiques, profondément attachés à la démocratie. C’est le cas notamment du Chili où malgré un contexte social tendu, la rédaction d’une nouvelle Constitution est aujourd’hui en cours, de l’Argentine qui depuis la chute des généraux, a vécu des alternances politiques régulières, et du Mexique qui est sorti de la longue domination du « parti révolutionnaire institutionnel ».

Beaucoup de ces pays affirment leur volonté d’indépendance face à l’omniprésence et aux méthodes souvent intrusives des présidents et des sociétés qui représentent les intérêts économiques des Etats-Unis. Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) tente ainsi de fédérer les dirigeants latino-américains pour contrebalancer l’influence nord-américaine.

L’ensemble du monde culturel latino-américain témoigne par ailleurs d’une remarquable volonté de défendre et de faire vivre sa culture –dont les Européens feraient bien de s’inspirer. Les plus grands écrivains –Alejo Carpentier, Gabriel Garcia Marquez, hier, Mario Vargas Llosa, aujourd’hui, sont souvent au cœur de ce combat. L’entrée de Vargas Llosa à l’Académie française, qui pourrait se décider en novembre prochain, constituerait, sans aucun doute, une reconnaissance qui nous honorerait.

Dotés de montagnes et de fleuves puissants, parfois impliqués dans le développement de l’énergie solaire, ces pays sont aussi très largement en tête en termes de production d’énergies renouvelables.

Ils souffrent aujourd’hui du poids souvent considérable de leur dette que les règles et les plans administrés par le Fonds monétaire international continuent à faire peser lourdement sur eux, à l’heure où les Etats-Unis et les Etats européens se libèrent de toute contrainte budgétaire au nom du « quoi qu’il en coûte ». Le président argentin, Alberto Fernandez, s’en est fait l’écho avec une force particulière lors de la dernière session des Nations-Unies.

Faute de partenaires alternatifs, ces pays se trouvent aussi aujourd’hui au cœur de rivalités économiques, commerciales et financières entre les Etats-Unis et la Chine.

La France qui reste, rappelons-le, présente sur ce continent –avec les Antilles et avec la Guyane- avait jadis un important crédit dans une grande partie de cette région. Le voyage du général de Gaulle –« la mano en la mano »- en 1964 avait contribué à relancer cette longue relation. Il ne paraitrait donc pas absurde que, répondant aux instances de M. Borell, la France et avec elle, d’autres Etats de l’Union européenne, marquent un intérêt renouvelé pour des Etats qui auraient tout à gagner à un partenariat privilégié avec l’Europe.