Après les années d’antagonisme ouvert -et assumé- de la période Trump, l’arrivée à la présidence des Etats-Unis de Joe Biden a été saluée par de nombreux dirigeants européens comme l’aube d’une ère nouvelle dans les relations entre Européens et Américains.
Un an plus tard, le bilan n’est pas celui que l’on attendait.
Le retrait, sans doute justifié, des Etats-Unis d’Afghanistan s’est fait d’une manière précipitée sans que les Européens -qui avaient fourni, pendant des années, contingents militaires et aides financières- ne soient jamais consultés.
L’étrange affaire Pegasus -depuis lors étouffée- a fait ressortir les relations privilégiées, largement à notre détriment, entre services israéliens, américains et britanniques.
L’annonce de la nouvelle alliance AUKUS -entre Américains, Britanniques et Australiens- et la brutale substitution des sous-marins nucléaires aux sous-marins que nous avait commandés l’Australie a montré l’extrême brutalité de la politique américaine lorsque ses intérêts ou sa vision du monde sont en jeu, et son manque total d’attention à l’égard de ses alliés.
Sur le projet Nordstream-2, les Américains ont constamment favorisé la division entre Européens, prétendant que ces derniers se mettaient dans la dépendance de la Russie, alors que la dépendance des Russes à l’égard du marché européen et de ses devises est tout aussi grande et que les Américains rêvent en réalité de nous imposer à terme leur propre gaz, nettement plus coûteux.
Aujourd’hui, la crise ukrainienne, systématiquement dramatisée par les Américains, les Britanniques, par leurs alliés européens les plus roches -Pologne, Pays Baltes- et par l’OTAN met en difficulté Français et Allemands. D’abord, parce que l’analyse que font ces derniers de la situation, beaucoup plus réaliste et pondérée, est très éloignée de celle que tentent de faire prévaloir les Anglo-saxons. Mais aussi, parce que M. Biden s’enferme délibérément dans le dialogue étroit voulu par le président russe, M. Poutine, en ne laissant aux Européens que des espaces de dialogue de second rang. -Otan-Russie ou OSCE, aujourd’hui moribonds.
Le président français et le chancelier allemand ont, de toute évidence, perçu le danger. Au-delà de l’Alliance atlantique, faut-il continuer à privilégier sa traduction intégrée, l’OTAN, où le rapport de forces s’est encore aggravé à notre désavantage avec le Brexit ? Ne convient-il pas d’asseoir le concept d’autonomie stratégique de l’Europe sur une vision plus claire des enjeux propres à notre continent : parfaire l’unité de l’Europe en accueillant les Balkans occidentaux, déployer au Moyen-Orient, en Méditerranée et en Afrique une politique de coopération plus respectueuse de la diversité des peuples et de leurs aspirations plutôt que de s’inscrire dans l’approche réductrice de la seule lutte antiterroriste, rechercher avec la Russie et avec la Chine une relation spécifiquement européenne fondée sur la fermeté mais aussi sur le dialogue ? Ne convient-il pas aussi de donner à notre ambition d’autonomie une portée plus opérationnelle, en n’y associant dans l’immédiat -à travers une coopération renforcée formelle ou informelle- que les Etats qui sont réellement soucieux d’accroître cette autonomie, et en privilégiant dans la boussole stratégique la question des moyens -notamment, la maîtrise du numérique et du spatial, le développent des nouvelles armes, des drones au spatial hypersonique, et l’effort de planification commune.
Il est temps que l’Europe se fasse par elle-même.