Au revoir, Angela

Après avoir assumé pendant seize ans les fonctions de Chancelière, Angela Merkel se retirera de la vie publique au lendemain des prochaines élections législatives allemandes. Nul ne sait encore quel sera son successeur et sur quelle équation politique il (ou elle) s’appuiera.

Présentée un temps comme sa dauphine, la très atlantiste Annegret Kramp Karrenbauer (AKK) a dû finalement renoncer à ses ambitions. Après avoir écarté ses rivaux, -le vieil adversaire libéral de Merkel, Friedrich Merz, l’inconfortable allié, et chef de la CSU, Markus Söder, l’indocile, et plus tranchant, Norbert Röttgen-, Armin Laschet, que la Chancelière ne soutient qu’avec une certaine distance, paraît usé avant même l’échéance électorale. C’est le candidat du SPD, Olaf Scholz qui semble aujourd’hui le mieux placé, avec la perspective d’une coalition avec les Verts d’Annalina Baerbock.

Le bilan d’Angela Merkel prête certes à discussion. Beaucoup lui reprocheront d’avoir été plus pragmatique que stratège et, hors d’Allemagne, d’avoir largement privilégié les intérêts allemands sur ceux de l’Europe en gestation.

On lui reconnaîtra cependant trois traits de personnalité qui ont fortement marqué ses mandats successifs.

L’humanité d’abord

D’abord, l’humanité dont elle fit preuve lors de la dramatique crise des migrants de l’été 2015. Si les critiques qui s’abattirent sur elle –et qui s’amplifièrent avec les incidents de Cologne à la fin de la même année- l’obligèrent à revenir sur son volontarisme initial –«wir schaffen das»-, elle n’en permit pas moins à un million de migrants de gagner l’Allemagne et contraignit certains de ses partenaires européens à montrer plus de générosité qu’ils ne l’auraient souhaité. L’accord passé en mars 2016 avec Erdogan –des euros contre des camps de réfugiés-, et le refus ultérieur du droit d’asile à une partie de ces migrants ternirent, il est vrai, par la suite, cette grande page d’Histoire.

Une intelligence pragmatique

Ensuite, on ne l’a pas assez souligné, l’intelligence et le courage dont elle fit preuve pour faire accepter à des Allemands vivant depuis toujours dans la terreur de l’inflation, la politique de large développement des liquidités de la Banque centrale européenne, ainsi que le plan de relance et l’emprunt de la Commission européenne. Les réticences et les blocages ne manquaient pourtant pas –jusqu’au tribunal constitutionnel de Karlsruhe.

Une vision « continentale » de l’Europe

Enfin, Angela Merkel a su constamment affirmer une vision « continentale » de l’Europe, se différenciant ainsi de l’approche quelque peu étriquée d’une nouvelle génération de dirigeants européens trop systématiquement ancrés à l’Ouest. Née et élevée dans l’ancienne RDA, elle savait que ce n’étaient pas les condamnations et les pétitions venues des occidentaux, mais les manifestations nées dans l’église Saint Nicolas de Leipzig qui avaient abouti à la chute du mur de Berlin. Vivement opposée aux dérives de Jaroslaw Kaczinsky et de Viktor Orban, elle a néanmoins prôné la modération plutôt que la division de l’Europe. Elle s’est efforcée d’apaiser les différends qui prenaient un tour trop personnel, notamment entre Emmanuel Macron et Viktor Orban, puis de nouveau, entre Emmanuel Macron et Recip Erdogan. Avec clairvoyance elle a réaffirmé, il y a quelques jours, qu’il y a « un intérêt stratégique absolu à accepter réellement l’entrée dans l’Union Européenne » des six pays des Balkans occidentaux –L’Albanie, la Bosnie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Montenegro et la Serbie.

On peut certes lui reprocher d’avoir, au nom des intérêts allemands, été trop conciliante avec la Russie –Nordstream 2- et avec la Chine –l’accord de 2020 sur les investissements. La politique à l’égard de la Russie et de la Chine dépendra en fait de la manière dont évoluera l’Europe. Si l’Europe est faible, elle restera étroitement dépendante des décisions prises Outre-Atlantique et elle se crispera de plus en plus sur elle-même. Si l’Europe a la volonté de s’affirmer et de retrouver le goût de la puissance et de la souveraineté, elle aura la capacité de dialoguer et de peser sur les évolutions de la Russie, et au-delà, sur les ambitions de la Chine.

Souhaitons que le (ou la) successeur d’Angela Merkel ne soit pas trop en rupture avec sa ligne politique.